Alcool à risque chez les actifs : Constances tord le cou aux idées reçues
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Cadres, ouvriers, enseignants… Toutes les catégories socioprofessionnelles et tous les secteurs d’activités sont touchés. Les femmes sont loin d’être épargnées. Explications de Guillaume Airagnes, psychiatre-addictologue à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris et doctorant à l’Inserm, qui a présenté ces résultats inédits dans le cadre de la 3e journée nationale de prévention des conduites addictives au travail organisée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) le 17 mai 2018.
Chez les femmes, 12 % des cadres ont un usage à risque de l’alcool (cf encadré en fin d’article) contre 9 % des ouvrières. Ces chiffres sont-ils nouveaux ?
Guillaume Airagnes : Oui, c’est la première fois que des prévalences d’usage à risque de l’alcool représentatives de la population générale et étudiées en fonction de facteurs professionnels sont disponibles pour la France. Elles reposent sur une extraction de données recueillies à l’inclusion dans la cohorte Constances. Afin d’assurer la représentativité de ces données en population générale, ces prévalences ont été pondérées pour prendre en compte les effets de sélection dans Constances (Santin et al., 2016).
Ces prévalences ont été reprises par de nombreux médias. Elles cassent le cliché selon lequel l’alcool serait l’apanage du « monde » ouvrier. Comment l’expliquez-vous ?
Guillaume Airagnes : Il est possible de formuler différentes hypothèses pour expliquer l’absence d’effet protecteur de la catégorie socioprofessionnelle favorisée chez les femmes. Par exemple, d’autres études ont mis en évidence que les femmes cadres sont particulièrement sujettes aux conflits vie privée-vie professionnelle. Cette situation de stress quotidien peut être associée à un risque accru de consommation excessive d’alcool. De futures études dans Constances permettront d’explorer davantage ces hypothèses.
Quoi qu’il en soit, c’est surtout la connaissance de l’absence d’effet protecteur de la catégorie socioprofessionnelle favorisée qu’il est important de diffuser afin que ces femmes ne soient pas exclues des stratégies de prévention et de repérage des usages à risque, voire même afin de leur prêter une attention plus particulière étant donné qu’elles sont potentiellement plus à risque.
Il ne faut pas oublier les hommes. Chez les hommes, les catégories socioprofessionnelles plus favorisées semblent certes moins touchées, mais les prévalences d’usage à risque restent très élevées : 19% chez les cadres.
Chez les hommes comme chez les femmes, il est donc important de ne pas exclure des stratégies de prévention et de repérage des catégories socioprofessionnelles qui seraient faussement jugées épargnées sur la base des idées reçues.
Vous avez aussi calculé les usages à risques d’alcool par tranches d’âge. Chez les hommes en activité de 18-35 ans, vous constatez une prévalence de 36 %. C’est énorme ! Elle est de 21 % pour les 36-50 ans et 16 % pour les plus de 51 ans. Peut-on espérer une baisse de la consommation pour ces jeunes actifs ?
Guillaume Airagnes : Il est important de rappeler que ces résultats ne permettent pas de conclure que la prévalence d’usage à risque de l’alcool diminue avec l’âge. Ces résultats sont une photographie de la prévalence d’usage à risque de l’alcool en population générale en 2014 par génération de naissance. On ne sait pas comment va évoluer l’usage d’alcool chez les 18-35 ans dans les années à venir, et ce d’autant plus que nous avons constaté des modifications importantes dans les modalités de l’usage de l’alcool chez les jeunes comparés aux sujets plus âgés. Par exemple, les jeunes ont tendance à présenter des alcoolisations paroxystiques importantes (au moins 6 verres d’alcool en une seule occasion) alors que les personnes plus âgées ont plutôt une consommation d’alcool régulière, voire quotidienne, mais de moindre intensité lors de chaque prise. Constances va nous permettre de suivre l’évolution des prévalences d’usage à risque chez les jeunes générations d’actifs.
Enfin, il est important de rappeler que les sujets de plus de 35 ans ne sont pas épargnés par l’usage à risque de l’alcool. Il reste indispensable d’effectuer des actions de repérage et de prévention dans toutes les catégories d’âge.
Dans un article publié en mai 2018 dans Plos One, vous montrez que l’usage à risque de l’alcool touche particulièrement les travailleurs en contact avec le public. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Guillaume Airagnes : Nous avons travaillé sur une extraction de données de Constances comportant 10 323 hommes et 13 318 femmes inclus entre 2012 et 2016, tous exposés quotidiennement au public dans le cadre de leur activité professionnelle, qu’il s’agisse de clients, de patients, d’usagers, etc., car l’exposition à ce risque psychosocial est particulièrement fréquent dans les pays occidentaux tournés essentiellement vers le secteur tertiaire.
Nous avons constaté que les hommes pour lesquels cette exposition était stressante, avait un risque multiplié par 1,3 de présenter des épisodes d’alcoolisation paroxystique importantes plus d’une fois par mois. Les femmes pour lesquelles cette exposition était stressante avaient un risque multiplié par 1,6 de présenter une consommation d’alcool quotidienne excessive, dépassant 4 verres par jour.
Il est important de noter que ces résultats restaient significatifs y compris en l’absence de dépression ou de souffrance au travail, mesurées à l’aide d’échelles d’évaluation standardisées, et quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle. Ces résultats suggèrent que les travailleurs exposés à ce risque psychosocial devraient bénéficier d’une écoute des difficultés rencontrées dans le contact avec le public et d’un accompagnement de la souffrance au travail qui peut en résulter. De plus, il est important de prévenir ces travailleurs de leur risque accru de trouble de l’usage de l’alcool ainsi que de le repérer précocement. Des interventions en milieu professionnel destinées à réduire l’exposition stressante au public pourraient également être mises en place, par exemple dans certains secteurs d’activité qui semblent particulièrement touchés tels que l’éducation et les services à la personne.
Zoom méthodologique : qu'est-ce qu'un "usage à risque de l’alcool" ?
L'usage à risque de l'alcool est déterminé à partir du questionnaire AUDIT (acronyme de ‘’Alcohol Use Disorders Test’’) de l'OMS présent dans les questionnaires d'inclusion de Constances. Ce test comporte 10 questions et calcule un score sur une échelle de 0 à 40. Si ce score est compris entre 8 et 15, l'usage de l'alcool est qualifié de dangereux. Si ce score est supérieur à 15, cela suggère une dépendance. « Seules 3 questions sur 10 concernent la quantité d’alcool consommée. En effet, le risque de dépendance à l’alcool n’est pas lié uniquement à l’intensité de la consommation, mais également à un rapport pathologique à l’alcool, caractérisé par exemple par l’importance du retentissement sur le fonctionnement social et l’intensité de la perte de contrôle (ne plus maîtriser sa consommation » indique Guillaume Airagnes.