Réforme Berthoin : une politique éducative confrontée à Constances, 50 ans après

En 1959, une politique éducative fait passer d’un coup la durée de la scolarité obligatoire en France de 14 à 16 ans. Des chercheurs ont étudié ses impacts sur les performances cognitives et la santé mentale à l’âge adulte de volontaires de Constances.

1959. Le ministre de l’éducation, Jean Berthoin, instaure l’allongement de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans. Entrée en vigueur en 1967 pour les enfants nés après le 1er janvier 1953, cette politique éducative a-t-elle eu un impact sur la santé à l’âge adulte des individus concernés ? Une association entre niveau d’éducation et santé est documentée dans de nombreux pays tant pour des indicateurs de santé cognitive, mentale et physique (Glymour et al. 2008) que pour la mortalité (Lleras-Muney 2005Elo et Preston 1996). Les mécanismes explicatifs derrière ces associations sont nombreux. Ils incluent un salaire plus élevé, un capital social et des connaissances en matière de santé plus importants. En allongeant la durée de la scolarisation obligatoire de 2 ans, la reforme Berthoin a-t-elle été associée à un niveau meilleur de santé chez les personnes en ayant bénéficié ? Une étude publiée en 2009 par l’INSEE n’a montré aucun impact sur la mortalité. Qu’en est-il pour la santé mentale et les performances cognitives à l’âge adulte ?

Grâce à Constances, une équipe internationale de chercheurs a évalué cette politique publique en comparant les données de 5 650 volontaires nés entre janvier 1950 et décembre 1952 (qui n’ont donc pas bénéficié de la reforme) à celles de 5 217 volontaires nés entre janvier 1953 et décembre 1955 (qui ont donc bénéficié de la réforme). « Notre approche est basée sur l’idée que le critère d’éligibilité à la réforme (être né après le 1er janvier 1953) est aléatoire. Les participants nés juste avant et juste après la réforme sont donc très semblables, à l’exception d’avoir bénéficié de deux années d’école de plus pour ceux nés après 1953. Cette approche nous permet de mesurer l’effet causal de l’éducation sur la santé » explique Émilie Courtin, épidémiologiste au King’s College London et à la London School of Economics, qui a coordonné l’étude dont les résultats sont en cours de soumission à une revue scientifique.

Allongement de 3 mois de la scolarité

Premier résultat (préliminaire mais essentiel) : la réforme Berthoin a bien conduit à une augmentation significative de l’âge de fin de scolarité. En moyenne, les volontaires éligibles à la réforme sont restés trois mois de plus à l’école avec un effet similaire chez les femmes et les hommes. « Ce qui est intéressant, c’est que lorsque l’on regarde si cet effet diffère en fonction de la catégorie sociale du père, l’effet est concentré chez les enfants d’ouvriers, qui sont restés en effet plus longtemps à l‘école à la suite de la réforme Berthoin. Les enfants des classes moyennes et supérieures restaient déjà scolarisés au-delà de 14 ans avant la réforme » indique la chercheuse.

Une amélioration des fonctions cognitives chez les hommes

Concernant les capacités cognitives (mesurées lors de tests réalisés dans les Centres d’examens de santé), un effet positif de la réforme a été décelé chez les hommes de la cohorte, mais non chez les femmes. « Cet effet de la réforme sur les fonctions cognitives des hommes est en concordance avec la littérature (Glymour et al. 2008). L’absence d’effet chez les femmes est peut-être due à l’âge des sujets sélectionnés pour cette analyse, qui ont 58 ans en moyenne. Les femmes tendent en effet à avoir moins de problèmes cognitifs jusqu’à l’âge de 75 ans. Elles sont notamment moins affectées par les facteurs de risque cardiovasculaire ayant un impact possible sur la cognition » souligne Émilie Courtin.

Des symptômes dépressifs plus élevés chez les femmes

Un effet négatif de la réforme sur les symptômes dépressifs des femmes (auto-rapportés dans les questionnaires), est ressorti des analyses statistiques. Aucune association n’a été mise en évidence pour les hommes. Cet effet négatif sur les femmes peut paraître surprenant mais il a également déjà été documenté dans d’autres pays : en Angleterre (Avendano et al. 2017), Suède (Lager et al. 2016) et Turquie (Dursun et Cesur 2016). « Les mécanismes explicatifs possibles sont divers. Par exemple, les femmes qui sont restées plus longtemps à l’école ont pu avoir plus d’attentes que celles scolarisées moins longtemps, mais ces attentes ne se sont pas concrétisées » explique l’épidémiologiste. En 2013, une analyse comparative réalisée par Julien Grenet, chercheur CNRS affilié à l’Ecole d’Economie de Paris, n’avait trouvé aucun effet de la réforme Berthoin sur les salaires et les qualifications, contrairement aux impacts positifs d’une réforme semblable menée en Angleterre et Pays de Galles en 1972. Il l’expliquait par le fait qu’outre-Manche, l’allongement de la scolarité avait conduit à une chute brutale du pourcentage d’élèves sortant sans aucune qualification, alors qu’il reste inchangé en France en raison de l’organisation du système scolaire français.

Attention : il ne s’agit pas ici de dire que l’éducation est mauvaise pour la santé mentale des femmes ! Ce que nous observons dans la cohorte Constances est que deux années supplémentaires d’éducation obligatoire sans refonte concomitante du système scolaire qui mènerait au long cours à de meilleurs diplômes et de meilleurs salaires peut avoir un effet non-désiré sur la santé en augmentant les inégalités de genre

Emilie Courtin
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