Un défaut d’interférons, cause de 20 % des décès Covid-19

Publiée en août 2021 dans Science Immunology, une étude incluant des volontaires de Constances confirme l’intérêt de la piste des interférons de type 1 pour traiter la Covid-19 et éviter 20 % des formes létales.

Les interférons de type 1 sont des petites protéines qui jouent un rôle important dans le déclenchement des réponses immunitaires, notamment face à des virus. De la famille des cytokines, ils sont capables d’être produits à la suite d’une attaque par des molécules étrangères et de déclencher des réactions en cascade pour stimuler nos cellules immunitaires.

Des auto-anticorps qui neutralisent l’activité des interférons

En septembre 2020, des travaux d’une équipe franco-américaine menés dans le cadre du COVID-HGE et publiés dans Science ont montré que les formes graves de Covid-19 étaient liées à un défaut d’activité d’interférons de type 1 avec une cause génétique dans 3,5 % des cas et une cause immunologique dans 15-20 % des cas. Pourquoi immunologique ? Car l’activité des interférons de type 1 se trouve bloquée par des anticorps qui les neutralisent (on parle alors d’auto-anticorps), empêchant alors une des activations de notre système immunitaire. Ces résultats ont été sélectionnés par la revue Nature comme étant l’une des 10 découvertes majeures de 2020. Ils sont consolidés et poursuivis par une nouvelle étude intégrant des volontaires de la cohorte Constances.

Des auto-anticorps plus nombreux chez les personnes âgées

En analysant plus de 34 000 échantillons sanguins prélevés avant le début de l’épidémie, dont 8 850 issus de volontaires de Constances préalablement stockés dans la biobanque, les chercheurs viennent de montrer que ces auto-anticorps pré-existent à l’infection par le virus SARS-CoV-2 et que leur prévalence dans la population française augmente de façon importante avec l’âge. Très faible chez les personnes de 18 à 69 ans (0,18 %), elle atteint 1,1 % chez les 70-79 ans et 4,3 % chez les personnes de plus de 80 ans. « Nos résultats expliqueraient la plus grande fragilité des personnes âgées face au virus, et pourquoi certains patients développent des formes graves alors que la majorité sont asymptomatiques ou ont des symptômes relativement mineurs ne nécessitant pas d’être hospitalisés » indique Paul Bastard, chercheur à l’Institut Imagine, dans le laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses, codirigé par Laurent Abel et le Pr. Jean-Laurent Casanova, et premier auteur du nouvel article publié en août 2021 dans Science Immunology.

Grâce à une cohorte de plus de 3 500 patients hospitalisés dans 38 pays différents avec des formes graves de Covid-19, l’équipe a également déterminé que les auto-anticorps neutralisant les interférons expliquent :

  • au moins 20% des formes sévères de Covid-19 chez les individus de plus de 80 ans ;
  • environ 20% des formes fatales à tout âge.

Détecter les patients à risques pour améliorer leur prise en charge

Ces résultats confirment la piste prometteuse de l’utilisation d’interférons pour lutter contre la Covid-19. « Il existe 17 interférons qui jouent des rôles très semblables. L’interféron béta est très intéressant, car il est très rarement reconnu par les auto-anticorps qui sont facilement et rapidement détectables par des tests en laboratoires. Les patients chez qui ils sont dépistés pourraient bénéficier d’un traitement précoce à base d’interférons béta mais aussi d’anticorps monoclonaux dirigés contre le virus pour éviter une forme sévère. Ces patients sont aussi absolument prioritaires pour recevoir une vaccination, et ont une contre-indication absolue à recevoir un vaccin vivant du fait du risque élevé de faire une forme grave » explique le chercheur. Et d’ajouter : « Une autre implication importante est qu’il convient de veiller particulièrement au dépistage de ces auto-anticorps dans le plasma de patients convalescents destinés à un usage thérapeutique, qui pourraient sinon être préjudiciables aux receveurs.»

Des interférons comme futur médicament de la Covid-19 ?

Des interférons produits industriellement sont déjà utilisés dans le cadre de traitements de la sclérose en plaques ou de cancers. Des essais cliniques sont néanmoins nécessaires avant leur utilisation pour la Covid-19. « La prise précoce d’interférons de type 1 pourrait être une piste thérapeutique si elle est donnée dès le diagnostic de l’infection par SARS-CoV-2. Au stade où les patients sont hospitalisés ou en réanimation, c’est probablement déjà trop tard. Les essais cliniques à des stades avancés de la maladie n’ont pas montré clairement d’efficacité des interférons. Les interférons de type 1 agissent au tout début de l’infection virale : c’est la première défense de l’organisme qui a pour but de limiter la réplication virale et la propagation du virus. L’interféron de type 1 est donc un traitement potentiel à un stade précoce de l’infection » explique ici Laurent Abel. Son équipe se demande si ces auto-anticorps ne seraient pas aussi impliqués dans d’autres formes sévères d’infections virales chez les personnes âgées, comme la grippe par exemple. Quant à leur origine et utilité, ces questions sont aujourd’hui sans réponses.

Référence bibliographique :
Bastard, P. et al. Autoantibodies neutralizing type I IFNs are present in ~ 4% of uninfected individuals over 70 years old and account for ~ 20% of COVID-19 deaths. Sci Immunol. 2021 Aug 19;6(62). doi: 10.1126/sciimmunol.abl4340.

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