Dépression et risque de symptômes persistants au cours de la pandémie de COVID-19
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Une étude basée sur les données de 25 000 volontaires de Constances montre que les personnes présentant déjà des symptômes de dépression au début de la pandémie de COVID-19 ont eu un risque multiplié par 3 de survenue d’au moins un symptôme persistant au cours du suivi : fatigue, difficultés respiratoires, troubles de l’attention… Trois questions à Cédric Lemogne, professeur de médecine à l’Université Paris Cité, qui a coordonné cette étude prospective inédite, publiée le 19 juillet 2023 dans Molecular Psychiatry.
Votre étude repose sur 25 000 volontaires de Constances qui ont participé aux enquêtes SAPRIS et SAPRIS-SERO. Vous avez étudié les liens entre la dépression au début de la pandémie et la survenue de symptômes persistants 7 à 10 mois plus tard. Avec quelles conclusions ?
Cédric Lemogne : Nous nous sommes intéressés à 16 types de symptômes ayant persisté au moins 8 semaines : difficultés respiratoires, dysfonctionnements sensoriels, fatigue, manque d’attention… Parmi les 25 114 participants, 17 % (soit 2 329 personnes) ont rapporté au moins un symptôme persistant présent dans le mois écoulé lors du remplissage du questionnaire en décembre 2020 ou janvier 2021. C’est une prévalence importante : près d’une personne sur 6 a été touchée par un ou plusieurs symptômes persistants.
Les analyses statistiques ont montré que les volontaires ayant déjà des symptômes de dépression ou d’anxiété avant (NDLR : déterminés via le questionnaire de suivi annuel de Constances) ou au début de la pandémie (NDLR : déterminés via le questionnaire SAPRIS envoyé début avril 2020) avaient un risque plus important de survenue d’au moins un type de symptômes persistants. Ce risque était multiplié par 3 en cas de symptômes de dépression au début de la pandémie. Les volontaires avec des symptômes anxieux ou dépressifs préexistants avaient aussi un risque accru de survenue de chacun des 16 types de symptômes persistants pris individuellement.
Parmi les 25 114 volontaires, 2 329 personnes (soit 9,3 %) ont été infectés par SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19. Cette identification repose soit sur la déclaration d’un test PCR positif, soit sur les analyses sérologiques basées sur les auto-prélèvements sanguins réalisés par les participants entre mai et novembre 2020. Trouvez-vous un impact de l’infection sur la survenue de symptômes persistants ?
Cédric Lemogne : En fonction des modèles statistiques, l’infection par SARS-CoV-2 était associée à un risque augmenté de 50 % à 60 % de survenue d’au moins un symptôme persistant. Néanmoins, un niveau élevé de symptômes dépressifs ou anxieux avant ou au début de la pandémie était un plus fort prédicteur que l’infection de l’apparition d’au moins un symptôme persistant. Par ailleurs, les symptômes dépressifs au début de la pandémie étaient associés à la survenue de symptômes persistants aussi bien chez les personnes infectées que non infectées lorsque ces deux groupes faisaient l’objet d’analyses séparées. Ces résultats tiennent compte du sexe, de l’âge, de l’éducation, du revenu, du tabagisme, de l’indice de masse corporelle, de l’hypertension, du diabète et de l’état de santé perçu des participants. Plusieurs études avaient déjà montré que des personnes ayant souffert de symptômes anxieux ou dépressifs sont plus à risque de développer des symptômes persistants, nommés « affection post-COVID-19 » par l’OMS ou plus communément « COVID long ». Mais ces études reposaient sur un recueil a posteriori des symptômes anxieux et dépressifs, donc susceptible d’être biaisées. Notre résultat se base sur une étude prospective. C’est toute la force et l’intérêt de la cohorte Constances.
Comment expliquez-vous ce résultat ?
Cédric Lemogne : Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce résultat. Premièrement, certains symptômes étudiés – comme la fatigue, les troubles cognitifs, les douleurs ou l’activation inappropriée du système nerveux autonome – sont également des symptômes fréquents des troubles dépressifs ou anxieux. Deuxièmement, la dépression et l’anxiété d’une part, et l’apparition de symptômes persistants d’autre part pourraient partager certains facteurs de risque communs : génétiques, environnementaux, etc.
D’un point de vue clinique, ces résultats soulignent l’importance de prendre en compte les antécédents de troubles psychiques lors de l’évaluation des symptômes persistants après la COVID-19. En matière de recherche, ils suggèrent que des mécanismes autres que l’infection par le SARS-CoV-2 pourraient contribuer aux symptômes du COVID long chez les personnes infectées. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre ces mécanismes sous-jacents et les prendre en compte en matière de prévention et de traitement.
Cette étude a bénéficié du soutien de l’ANRS | Maladies infectieuses émergentes. Héritière de l’agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), l’ANRS | MIE a été créée le 1er janvier 2021 pour apporter des réponses scientifiques aux maladies infectieuses en temps de crise et sur le temps long.
Référence bibliographique :
Matta, J., Robineau, O., Wiernik, E., Carrat, F., Severi, G., Touvier, M., Gouraud, C., Ouazana Vedrines, C., Pitron, V., Ranque, B., Pignon, B., Hoertel, N., Kab, S., Goldberg, M., Zins, M., Lemogne, C. Depression and anxiety before and at the beginning of the COVID-19 pandemic and incident persistent symptoms: a prospective population-based cohort study. Molecular Psychiatry (2023). DOI: 10.1136/oemed-2022-108794.