Hypertension artérielle : Constances éclaire une controverse

Faut-il changer les seuils définissant une pression artérielle dite « normale » et une pression artérielle « élevée » ? Constances apporte des éléments factuels sur une controverse qui divise actuellement les communautés scientifiques européennes. Selon l’étude publiée dans la revue Circulation, si une nouvelle classification était retenue, plus de 8 volontaires sur 10 de la cohorte seraient considérés comme ayant une pression artérielle dite « élevée » ou une hypertension.

Depuis 2023, un désaccord oppose les deux communautés scientifiques européennes spécialistes de l’hypertension : la Société européenne de cardiologie (en anglais European society of cardiology, ESH) et la Société européenne d’hypertension (en anglais European society of hypertension, ESH). Jusqu’en 2018, ces deux sociétés publiaient conjointement leurs recommandations sur l’hypertension artérielle. Ces recommandations proposaient des seuils de pression artérielle définissant 4 catégories : pression artérielle « optimale », pression artérielle « normale », pression artérielle « normale-haute » et « hypertension ».

Mais, en 2023 et en 2024, elles ont publié séparément leurs propres recommandations avec des divergences notables. Si les recommandations de l’ESH sont semblables à celles de 2018, celles de l’ESC annoncées en 2024 apportent d’importants changements avec une nouvelle classification distinguant la pression artérielle en 3 catégories : pression artérielle « non élevée », pression artérielle « élevée » et « hypertension ». L’hypertension reste définie par une pression systolique supérieure à 140 mmHg ou une pression diastolique supérieure à 90 mmHg, mais une tension est dite « élevée » dès lors que la pression systolique est supérieure à 120 mmHg ou que la pression diastolique est supérieure à 70 mmHg, alors que jusqu’à présent, la pression artérielle était considérée comme « optimale » ou « normale » jusqu’à 130/85 mmHg.

Quels seraient les impacts d’une telle modification de classification en population générale française ?

Pour le savoir, une équipe de chercheurs et médecins a appliqué la classification proposée par l’ESC sur les données Constances, plus précisément sur les pressions artérielles de 203 000 volontaires âgés de 18 à 69 ans, mesurées à leur inclusion dans les Centres d’examens de santé.

Leurs travaux ont montré que 35 % des volontaires de Constances actuellement considérés comme ayant une tension artérielle « optimale » ou « normale » basculeraient dans la catégorie d’une tension artérielle « élevée ». Au total, 83,5 % des volontaires seraient alors classés comme ayant une tension artérielle « élevée » (52,6 %) ou une « hypertension » (30,9 %).

« C’est considérable, surtout que la population de Constances est plutôt « jeune ». Tous les volontaires avaient moins de 69 ans lors des mesures effectuées » indique Emmanuelle Vidal-Petiot, hypertensiologue à l’hôpital Bichat (Paris) et professeure de physiologie à l’Université Paris Cité, qui a coordonné l’étude. « Imaginez, avec cette nouvelle définition, seulement 16 % des volontaires de Constances seraient alors considérés comme des sujets en bonne santé s’agissant de leur niveau de pression artérielle. »

Pour établir ces nouvelles recommandations, l’ESC s’est notamment appuyée sur la pression artérielle, a priori strictement normale, d’une tribu amérindienne dont l’alimentation est non transformée et très pauvre en sel. « Certes la pression systolique des membres de cette communauté est toujours inférieure à 120 mmHg, en revanche un tiers d’entre eux avaient une pression diastolique supérieure à 70 mmHg » indique la chercheuse.

Un autre argument basé sur les données de Constances plaide pour conserver un seuil de pression diastolique plus haut que 70 mmHg, possiblement à 80 mmHg, pour caractériser une pression artérielle « non élevée ». En effet, les analyses montrent que chez les volontaires ayant une pression systolique inférieure à 120 mmHg, le risque d’accident vasculaire cérébral ou d’infarctus du myocarde, dans les 4 à 8 ans suivant les mesures réalisées lors du bilan de santé, n’est pas significativement différent entre les volontaires avec une pression diastolique inférieure à 70 mmHg et ceux avec une pression diastolique comprise entre 70 et 80 mmHg.

« Les données de Constances nous ont permis d’apporter un regard chiffré très vite après la publication de ces nouvelles recommandations par l’ESC en 2024, de publier un article dans une revue scientifique spécialisée et d’apporter ainsi un éclairage très important sur une controverse qui secoue encore les communautés » conclut Emmanuelle Vidal-Petiot.

 

Référence bibliographique :

Emmanuelle Vidal-Petiot, Sofiane Kab, Philippe Gabriel Steg. New Definition of Elevated Blood Pressure in the 2024 ESC Guidelines: Increased Prevalence, Uncertain Evidence. Circulation. 2025. DOI : 10.1161/CIRCULATIONAHA.124.072696

Balagny P, Vidal-Petiot E, Renuy A, Matta J, Frija-Masson J, Gabriel Steg P, Goldberg M, Zins M, D’Ortho M-P, Wiernik E. Prevalence, treatment and determinants of obstructive sleep apnoea and its symptoms in a population-based French cohort. ERJ Open Research. 2023. DOI: 10.1183/23120541.00053-2023.

Pauline Balagny, Emmanuelle Vidal-Petiot, Sofiane Kab, Justine Frija Philippe Gabriel Steg , Marcel Goldberg, Marie Zins, Marie-Pia d’Ortho and Emmanuel Wiernik. Association of Snoring and Daytime Sleepiness With Subsequent Incident Hypertension: A Population-Based Cohort Study. Hypertension. 2024. DOI: 10.1161/HYPERTENSIONAHA.124.23007