Le chômage, un problème de santé publique

En France, 10 000 à 14 000 décès par an seraient imputables au chômage. Deux études menées sur la cohorte Constances vont tenter de démêler les relations complexes — et peu étudiées — entre chômage et dégradation de l’état de santé.

Au cours des 15 dernières années, seules 3 études ont été publiées dans des revues internationales à comité de lecture sur les relations entre chômage et santé en France : Moulin et al., 2009, Melchior et al., 2015Meneton et al., 2015. Cette dernière reposait sur le suivi d’une cohorte de 6 000 personnes de 35 à 60 ans entre 1995 et 2007. Ses conclusions ? La condition de chômeur est associée à un risque presque doublé d’accidents cardiovasculaires (infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux) et à une mortalité, toutes causes confondues, presque 3 fois plus élevée par rapport aux personnes de même âge et de même sexe ayant un travail.

Comment expliquer cette surexposition des chômeurs aux problèmes de santé ?

Est-elle liée à la perte de revenus, à un accès plus réduit au système de soins et/ou à mauvaises habitudes de vie ? L’environnement familial et social intervient-il en modulant ces effets ? « Les liens entre chômage et santé dépendent en partie des facteurs de risque classiques que l’on retrouve plus fréquemment chez les chômeurs (tabagisme, alcoolisme, alimentation déséquilibrée, sédentarité) mais pas seulement. Il existe un lien résiduel qui persiste après ajustement sur ces facteurs de risque, suggérant que le chômage peut aussi agir plus directement sur l’organisme en favorisant par exemple l’apparition de troubles du sommeil et de dépressions qui sont susceptibles d’augmenter le risque cardiovasculaire » indique Pierre Meneton, chercheur de l’Inserm au Campus des Cordeliers à Paris.

Quels impact du chômage sur la santé des volontaires de Constances ?

Pour démêler les fils complexes de ces relations (parfois réciproques), 2 projets ont débuté sur la cohorte Constances. Mené sur 5 ans et coordonné par Pierre Meneton, le projet CHOSANTE va quantifier la surexposition des chômeurs aux problèmes de santé en prenant en compte les facteurs confondants à savoir : l’âge, le sexe, la situation familiale, la condition sociale, l’accès aux soins mais aussi la catégorie socioprofessionnelle et l’environnement de travail. « Nous aimerions en particulier préciser si la détérioration de l’état de santé liée au chômage est plus marquée dans certaines professions où la perte de revenu, la fragilisation psychologique, la désocialisation et/ou la rupture des rythmes quotidiens peuvent être vécues plus difficilement que dans d’autres. Il nous semble également important d’explorer si de mauvaises conditions de travail, qui sont elles-mêmes un facteur majeur de dégradation de la santé, sont susceptibles de minimiser la différence d’exposition aux maladies chroniques chez les travailleurs et les chômeurs » explique le chercheur.

Une étude préliminaire menée sur une extraction des données de Constances de juillet 2015 a déjà montré des résultats saisissants quant au renoncement aux soins : 31 % des femmes et 29,8 % des hommes à la recherche d’un emploi déclarent avoir renoncé aux soins pour des raisons financières contre respectivement 15 % et 11 % des autres volontaires. « Avec Constances, nous allons aussi être capable d’étudier l’effet de la durée et du nombre d’épisodes de chômage sur la survenue des problèmes de santé » ajoute Pierre Meneton.

La perte d’emploi est-elle associée à l’adoption de « mauvaises » habitudes de vie ?

Le deuxième projet, CALICO, est mené par Marie Plessz, sociologue de l’INRA au Centre Maurice Halbwachs. Il vise à déterminer les associations entre le chômage et des habitudes de vie qui sont facteurs de risque de pathologies chroniques : l’alimentation, l’activité physique, la consommation d’alcool et de tabac. Des résultats préliminaires sont déjà là. Reposant sur une extraction de données de Constances de 2015 comportant près de 58 000 volontaires, ils montrent que le chômage est associé à des risques accrus d’habitudes de vie défavorables à la santé avec un effet plus net chez les hommes que chez les femmes.

« Nous ne trouvons aucune différence sur le score d’adéquation aux recommandations nutritionnelles, ni sur l’inactivité physique chez les femmes. Nous trouvons par contre une différence significative de consommation d’alcool et de tabac chez les hommes et les femmes au chômage, avec un effet plus fort chez les hommes » indique la chercheuse. « Pour expliquer ces différences selon le sexe, l’environnement familial est sans doute à prendre en compte : les hommes au chômage vivent-ils plus seuls que les femmes ? Autre explication possible : les hommes pourraient vivre davantage le chômage comme une relégation que les femmes. Par exemple, si l’inactivité physique guette plus les hommes que les femmes, c’est sans doute parce que les femmes sont souvent responsables des tâches ménagères – une forme « d’activité physique » bien plus pratiquée que le sport… Mais nous n’avons qu’effleuré la question de causalité. Des études prospectives vont venir : grâce au questionnaire alimentaire que les volontaires ont reçu au cours de l’année 2017, nous pourrons comparer l’évolution des habitudes de vie des personnes qui ont conservé leur emploi, qui l’ont perdu, ou qui en ont trouvé un. » Le projet ne fait que commencer.

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