Une exposition au formol au travail… et plus tard des troubles du raisonnement et de la mémoire ?

Cancérigène, reprotoxique… et bientôt neurotoxique ? Une étude Constances montre que l’exposition professionnelle au formaldéhyde, un gaz dégagé notamment par le formol utilisé dans le secteur de la santé, est associée à un sur-risque de 17 % d’avoir de moins bonnes performances cognitives ultérieurement.

Gaz à l’odeur piquante et suffocante, le formaldéhyde est dégagé par le formol, un liquide utilisé dans le secteur de la santé, mais aussi dans les soins funéraires, pour ses propriétés conservatrices et désinfectantes. Le formaldéhyde peut aussi être issu du paraformaldéhyde, un solide employé comme liant dans l’industrie chimique et l’industrie du textile.

Depuis les années 80, grâce à des réglementations successives pour limiter ces risques sanitaires, l’utilisation de formaldéhyde dans le cadre professionnel est encadrée. On lui reproche en effet des risques mutagènes et reprotoxiques (altération de la fertilité de l’homme, de la femme ou du développement de l’enfant à naître). En 2004, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le formaldéhyde dans le groupe 1 « substance cancérogène avérée pour l’homme » pour les cancers du nasopharynx par inhalation.

Des effets sur le fonctionnement neuronal ?

Une équipe emmenée par des chercheuses de l’Institut des neurosciences de Montpellier (Université de Montpellier et Inserm) a voulu savoir si l’exposition professionnelle au formaldéhyde pouvait aussi avoir des incidences au niveau cognitif, c’est-à-dire sur le fonctionnement du cerveau et des neurones. Pour cela, elle s’est tournée vers la cohorte Constances. « Les grandes cohortes en population comme Constances permettent de regarder le passé avec des outils, tels que les matrices emplois-expositions, qui s’abstraient des problèmes de mémoire et permettent d’avoir une vision « vie entière » de ces expositions » explique Claudine Berr, directrice de recherche Inserm qui a supervisé l’étude.

Croiser les calendriers professionnels et les tests cognitifs

Les épidémiologistes se sont penchées sur une extraction de données de la cohorte de février 2021 comprenant un total de 75 322 participants de plus de 45 ans. Pourquoi 45 ans ? Car, dans le cadre des bilans Constances réalisés dans les Centres d’examens de santé, des tests cognitifs et fonctionnels effectués par des neuropsychologues sont proposés à toutes les personnes de 45 ans et plus. Les chercheuses se sont intéressées aux 7 tests cognitifs de rappel de mots, de mémoire, d’attention, de raisonnement et d’autres capacités de réflexion.

En parallèle, grâce aux calendriers professionnels complétés par les volontaires, elles ont eu accès aux différents métiers exercés durant l’ensemble de leur carrière professionnelle. A l’aide d’un outil appelé une « Matrice Emplois Expositions », elles ont estimé l’exposition au formaldéhyde. Cette matrice, construite par Santé Publique France, permet de déterminer si les métiers exercés sont associés à l’utilisation de formaldéhyde et si oui quantifier cette exposition en termes de probabilité, d’intensité et de fréquence d’exposition.

Un sur-risque de 17 % pour les personnes exposées

Résultats ? Plus de 8 % des 75 322 volontaires de 45 ans et + ont été exposés au formaldéhyde au cours de leur vie professionnelle. La grande majorité des personnes exposées étaient des infirmiers, des aides-soignants, des techniciens médicaux ; et dans une plus faible proportion, des travailleurs dans l’industrie du textile, de la chimie et du métal, des charpentiers et des agents d’entretien. Mais surtout, après avoir tenu compte de l’âge, du sexe, du niveau d’étude et d’autres facteurs, les chercheuses ont constaté que les personnes exposées au formaldéhyde au cours de leur vie professionnelle présentaient, en moyenne, un risque de 17 % plus élevé de souffrir de troubles cognitifs que les personnes non exposées. Ce constat s’applique à tous les types de fonctions cognitives testés par les chercheuses : le raisonnement, l’attention, le langage et la mémoire. Aucun effet du sexe n’a été décelé.

« A notre connaissance, c’est la première fois qu’une étude épidémiologique réalisée en population générale – c’est-à-dire non réalisée dans un milieu professionnel particulier, montre que l’exposition professionnelle au formaldéhyde est associée à un moins bon niveau de performances cognitives » indique Noémie Letellier, première auteure de l’article publié sur le site de la revue Neurology en décembre 2021.

Quel rôle de la durée, de la quantité et de l’ancienneté de l’exposition ?

Afin de déterminer si la durée d’exposition jouait un rôle dans cette relation, les chercheuses ont réparti les volontaires de Constances en 3 groupes composés du même nombre de participants. Elles ont trouvé que les personnes exposées au formaldéhyde pendant 22 ans et plus avaient un risque 21 % plus élevé de souffrir de troubles cognitifs que les personnes non exposées. Ce sur-risque était de 16 % si l’exposition avait duré de 1 à 6 ans et de 14 % si l’exposition avait duré de 7 à 21 ans.

Les participants ont également été répartis en 3 groupes en fonction de leur exposition cumulée, c’est-à-dire la quantité totale de formaldéhyde à laquelle une personne a été exposée au cours de sa vie professionnelle. Les personnes du groupe ayant été exposés aux plus fortes doses cumulées de formaldéhyde présentaient en moyenne un risque de trouble cognitif supérieur de 19 % par rapport aux personnes n’ayant jamais été exposées. Ce sur-risque était de 17 % si l’exposition cumulée était faible et de 15 % si l’exposition cumulée était moyenne.

Les résultats de cette étude montrent que les personnes exposées au formaldéhyde pendant longtemps (22 ans et plus), exposées à une forte quantité cumulée, ou celles exposées récemment (après 2001), avaient un risque autour de 20% plus élevé de moins bonnes performances cognitives, par rapport aux personnes non-exposées. Mais cette étude montre également que même une durée d’exposition courte (entre 1 et 6 ans), une exposition cumulée faible et une exposition lointaine au formaldéhyde (avant 2001) sont liées à un niveau plus faible de performances cognitives par rapport aux personnes non-exposées. Cela montre notamment que le temps n’atténue pas totalement l’association entre formaldéhyde et plus faible niveau cognitif.

Même si l’étude ne prouve pas que l’exposition au formaldéhyde provoque des troubles cognitifs — elle montre seulement une association- elle fournit de nouvelles preuves pour limiter encore davantage l’utilisation du formaldéhyde et incite à mettre en place des mesures de prévention efficaces au travail afin de diminuer et prévenir ses effets neurotoxiques. Surtout que des effets du formaldéhyde sur le fonctionnement du cerveau ont déjà été montrés sur des modèles animaux.

« L’utilisation du formaldéhyde a diminué au cours des dernières décennies grâce à des réglementations successives. Toutefois, de nombreuses personnes sont encore exposées à ce produit chimique dans le cadre de leur travail. Or, nos résultats indiquent qu’elles risquent de souffrir de troubles cognitifs plus tard dans leur vie, même après la retraite, en raison de cette exposition » conclut Noémie Letellier.

Référence bibliographique :
Association Between Occupational Exposure to Formaldehyde and Cognitive Impairment, Letellier, N. et al., Neurology, First published December 22, 2021, DOI: https://doi.org/10.1212/WNL.0000000000013146

Article d’actualité de l’INSERM :
Formaldéhyde : une exposition professionnelle associée à de moins bonnes capacités cognitives

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